Il était une fois une baie, une immense étendue de sable clair, cernée d’une végétation emmêlée. Fougères et palmiers face à la mer.  Comme échoués après un naufrage, polis par les vagues et les années, les rochers sombres, presque noirs, parsème la plage. Les amoncellements de pierres grises créent une allée qui, à marée basse, semble repousser les eaux pour guider les pas jusqu’à une presqu’île. Simple, sauvage et indomptée. Au loin, parmi les vagues, quelques tortues viennent danser. Les raies passent en coup de vent. Les crabes sautillent puis se cachent. Les lézards se prélassent tandis que les perroquets observent tout ce petit monde.

Aux aurores, lorsque les premières lueurs du jour teintent à peine le ciel, la plage s’anime. Des silhouettes se dessinent, sautillent et jouent. Voilà les kangourous ! Petits et grands, bagarreurs comme promeneurs, ils errent de-ci de-là profitant de la douceur matinale. Une récréation de courte durée, car dès que le soleil doré pointe le bout de son nez, tout ce petit monde file s’abriter. C’est alors sous les palmiers, bien cachés, qu’ils attendent la fin de la journée.
Et, ainsi, la vie suit son cours au gré du vent, des marées et des saisons.

Cette sauvage péninsule de la côte du Queensland porte le doux nom de Cape Hillsborough. Pour s’y rendre, il n’y a qu’un seul chemin. Une longue et étroite route sillonnant, d’un virage étroit à un autre, au cœur d’une nature asséchée par un soleil de plomb.

Mais l’Homme, jalousant ce petit paradis animalier, a choisi de s’y installer en toute impunité. Un, puis deux, puis des centaines.  Entre les palmiers, les caravanes et les tentes s’amoncellent. Les bungalows s’emplissent chaque semaine de vacanciers avides des trésors offerts par cette nature.  Puisque la mer est inhospitalière, une piscine est apparue. Puisque la nature ne suffit pas, le matériel a suivi. Produits antimoustiques et crèmes solaires. Barbecues et fast-food.  Une nourriture que les animaux n’ont pas l’habitude de rencontrer, mais qui tente évidemment ces grands gourmands. Alors désormais, à la nuit tombée lorsque les campeurs ont verrouillé la tente, que toutes les moustiquaires sont baissées, les kangourous déambulent dans les allées. D’une poubelle à l’autre, ils sautillent en quête d’un papier gras ou d’un morceau de pain dur.

Ils viennent si près, quelle aubaine ! « En voilà un bon moyen de se faire de l’argent », pense inévitablement l’Homme installé sur ce territoire. Chaque matin, à 5h tapante, dans la brume matinale, il vient offrir une collation aux kangourous gourmands. Une pâtée que les aides à digérer tout ce que les vacanciers laissent traîner dans les poubelles, paraît-il. Quoi qu’il en soit, c’est une pâtée qui attire les touristes par dizaine. Comme des zombis, peut-être encore trop endormis, avancent téléphone dressé vers les animaux sauvages. Caresses, bisous et autres cookies sont offerts en toute insouciance.


Fin de séance pour aujourd’hui. En quelques bonds, les derniers kangourous repartent se cacher, jusqu’à leur prochaine exhibition…

Les yeux rieurs et le sourire aux lèvres, les Hommes vivent alors ici, dans cette baie de beauté, le bonheur simple qu’offre la nature.

 

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